Communiqué en réponse à l’avis du Collège National des Généralistes Enseignants au sujet des injections intra-articulaires d’acide hyaluronique dans la gonarthrose

Société Française de Rhumatologie (SFR),
Société Française de Médecine Physique et Réadaptation (SOFMER),
Société Française de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique (SOFCOT)
Syndicat National des Médecins Rhumatologues (SNMR)
Collège Français des Enseignants en Rhumatologie (COFER)
Conseil National Professionnel de Rhumatologie
Conseil National Professionnel de Médecine Physique et de Réadaptation
Conseil National Professionnel de Chirurgie Orthopédique et Traumatologique
Association Française de Lutte Anti-Rhumatismale (AFLAR)

Le conseil scientifique du Collège National des Généralistes Enseignants (CNGE) a publié le 5 septembre un avis interpellant les agences d’état, Haute Autorité de Santé (HAS) et Agence Nationale de Sécurité du Médicament et des produits de santé (ANSM) dans le but d’interdire l’usage des injections intra-articulaires d’acide hyaluronique (IAAH) dans la gonarthrose. Cet avis s’appuie sur la méta-analyse récente de Pereira et coll. (1) publiée dans le British Medical Journal (BMJ) le 5 juillet 2022 en raison d’un risque d’effets indésirables graves pour un traitement jugé pas ou peu efficace.

Nous ne partageons pas les conclusions rendues dans cet avis, basées sur les seuls résultats de cette étude, sans une analyse précise, critique et contradictoire prenant en compte l’ensemble de la littérature scientifique sur le sujet. Nous déplorons par ailleurs qu’aucune discussion préalable n’ait été menée avec les sociétés savantes d’autres spécialités, alors que la prise en charge des patients gonarthrosiques est par essence pluridisciplinaire, et pas davantage avec les associations de patients, concernés au premier chef par une pathologie invalidante, avec un fort retentissement sur la qualité de vie.

Le communiqué du CNGE repose essentiellement sur les grandes lignes de l’article du BMJ reprises dans son résumé, sans tenir compte des éléments importants de discussion apportés par les auteurs et qui tempèrent leurs résultats. Les auteurs reconnaissent par exemple qu’il est possible que ce traitement soit efficace « dans une population sélectionnée de patients gonarthrosiques ». Ce communiqué ne tient pas compte non plus des limites et faiblesses identifiées par les auteurs et pas davantage des différents commentaires contradictoires publiés dans le même journal depuis la parution de l’article et avant le 5 septembre, date de publication de l’avis du CNGE. D’autres méta-analyses déjà publiées avaient abouti à des résultats sensiblement différents, et auraient également mérité d’être discutées (2-4).

Plusieurs points méritent d’être soulignés, expliquant nos conclusions différentes de celles du CNGE.

Dans un souci d’exhaustivité, les auteurs ont regroupé toutes les études, y compris celles non publiées, indépendamment des critères d’inclusion, des stades évolutifs, de l’intensité de la douleur initiale et des protocoles d’injection. Ce faisant, leur méta-analyse aboutit à un message simpliste et approximatif, dans une affection au contraire complexe, avec une expression clinique variable dans le temps et des stades de sévérité radiographiques multiples. Seuls l’âge, le pourcentage de femmes et la durée de la maladie ont été communiqués, sans aucune information clinique ou radiologique relative aux patients analysés et à une éventuelle influence de ces facteurs sur la réponse thérapeutique.
Les résultats de cette méta-analyse suggèrent que l’effet symptomatique (sur la douleur et sur la fonction) des IAAH est significativement supérieur comparé à celui d’un placebo, mais que la différence n’est pas cliniquement pertinente. Cependant, il n’est pas discuté l’effet-taille du placebo intra-articulaire (0,29), alors que celui-ci est bien supérieur à celui du paracétamol (0,18) ou d’un placebo oral (3). Dans d’autres publications, l’effet-taille des IAAH est d’ailleurs bien supérieur à celui d’un placebo intra-articulaire (0,60) (3).

Un autre point important à considérer est la nature du placebo, variable selon les études, celle-ci pouvant être une injection de solution saline. Or, il a été montré que l’injection de solution saline pouvait avoir un effet thérapeutique propre, limitant ainsi la différence potentielle avec la molécule d’intérêt testée, ici l’acide hyaluronique. Cette mise en perspective n’a aucunement été réalisée dans l’article du BMJ.

Les effets indésirables « graves » (EIG) ou « sévères » rapportés dans cette revue correspondent à l’addition des EIG rapportés dans les différents articles étudiés, sans aucune analyse de leur imputabilité. Ainsi ont été additionnés des évènements de toute sorte (fracture du fémur, cardiomyopathie, cancer colique, sténose carotidienne, cirrhose, etc.) dont beaucoup n’ont pas de rapport attendu avec les IAAH. Ce point est d’ailleurs souligné par les auteurs eux-mêmes dans la publication.

On peut rappeler ici la sécurité d’emploi des IAAH démontrée depuis de nombreuses années en pratique courante : en France, par exemple, il n’a été observé aucune augmentation proportionnelle ou exponentielle de la fréquence des arthrites septiques pendant la période de remboursement alors que le nombre d’injections intra-articulaires dans le genou avait été multiplié par 10. De rares cas ont été publiés, comme on l’observe avec tout geste invasif intra-articulaire. De même, des cas exceptionnels de fasciite nécrosante mortelle ont été publiés après injection d’acide hyaluronique, mais ils ont été attribués à un sepsis induit par une mauvaise procédure (5, 6). Cette grave complication est possible pour toute injection intra-articulaire indépendamment du produit utilisé en cas de non-respect des règles de procédure bien définies en France (7). Une arthrite microcristalline peut survenir exceptionnellement, sans aucune gravité.

En réalité, peu d’agents thérapeutiques ont fait l’objet d’autant d’études expérimentales et cliniques que l’acide hyaluronique en injection intra-articulaire, produit également utilisé largement dans d’autres spécialités médicales et en médecine vétérinaire. Certes, il est indéniable que son effet thérapeutique dans l’arthrose est modéré, comme d’ailleurs celui de tous les traitements pharmacologiques actuellement proposés. Il n’en demeure pas moins qu’il est supérieur à celui du paracétamol, largement prescrit et en vente libre. L’effet antalgique du paracétamol est sous le seuil de perception clinique tandis que sa tolérance, notamment cardiovasculaire et digestive, est actuellement discutée, ce qui a conduit récemment la Société Française de Rhumatologie à recommander de ne plus le prescrire de manière systématique et/ou continue dans la gonarthrose (8). S’agissant des IAAH, leur efficacité est équivalente à celle des AINS oraux, mais avec un profil de tolérance meilleur.


Les IAAH ont été déremboursées en France début décembre 2017, malgré l’opposition des rhumatologues français et des patients. Cette démarche a limité son usage aux seuls patients capables d’en assurer le coût. Sa suppression de l’arsenal thérapeutique déjà limité dans la gonarthrose conduirait à favoriser d’autres types de traitements tels que les injections intra-articulaires de plasma enrichis en plaquettes (PRP), technique à la fois plus lourde, plus coûteuse et moins bien évaluée, à augmenter le recours à la chirurgie prothétique dont le taux de complications ou de résultats insuffisants n’est pas négligeable et à accroître la consommation d’antalgiques (paracétamol, opioïdes faibles) et d’AINS oraux aux effets délétères indiscutables.


Aujourd’hui, les IAAH s’intègrent dans la prise en charge globale pharmacologique et non pharmacologique des patients gonarthrosiques en tant que traitement intra-articulaire possible à visée symptomatique conformément aux recommandations de la Société Française de Rhumatologie, que nous encourageons le CNGE à consulter (8).


En conclusion, les co-signataires du présent communiqué attirent l’attention des pouvoirs publics, de la HAS et de l’ANSM sur la nécessité à ne pas considérer, comme l’a fait maladroitement le CNGE, cette méta-analyse comme une justification à remettre en cause, sans débat, sans réflexion, et surtout sans analyse scientifique contradictoire de la littérature, les IAAH, qui sont un traitement éprouvé et bien toléré dans la gonarthrose, lorsqu’il est correctement utilisé par les spécialistes concernés. Le CNGE met en exergue l’importance du fardeau lié à l’arthrose, nous ne pouvons qu’approuver. Mais face à ce constat, vouloir retirer une option valide d’un arsenal thérapeutique déjà limité aurait des
conséquences négatives majeures sur la prise en charge des patients et irait au final à l’encontre de ses attentes. Il nous parait enfin crucial que des messages clairs, homogènes et concertés soient portés par les différents collèges aux étudiants de troisième cycle, quelle que soit leur spécialité, particulièrement dans une maladie aussi fréquente que la gonarthrose que nous prenons collectivement en charge.

Bibliographie

  1. Pereira TV, Juni P, Saadat P, Xing D, Yao L, Bobos P, et al. Viscosupplementation for knee osteoarthritis: systematic review and meta-analysis. BMJ. 2022;378:e069722.
  2. Bannuru RR, Osani M, Vaysbrot EE, McAlindon TE. Comparative safety profile of hyaluronic acid products for knee osteoarthritis: a systematic review and network meta-analysis. Osteoarthritis Cartilage. 2016 Dec;24(12):2022-2041
  3. Bannuru RR, Schmid CH, Kent DM, Vaysbrot EE, Wong JB, McAlindon TE. Comparative Effectiveness of Pharmacologic Interventions for Knee Osteoarthritis: A Systematic Review and Network Meta-analysis. Ann Intern Med. 2015;162(1):46-54.
  4. Richette P, Chevalier X, Ea HK, Eymard F, Henrotin Y, Ornetti P, Sellam J, Cucherat M, Marty M.Hyaluronan for knee osteoarthritis: an updated meta-analysis of trials with low risk of bias. RMD Open. 2015 May 14;1(1):e000071.
  5. Matsuki J, Ishigami A, Tanaka M, H
Publier le 22/09/2022 - Date de modification 22/09/2022